Le professeur Florian Holsboer compte parmi les plus éminents chercheurs dans le domaine de la dépression à l’échelle mondiale. Ce chimiste et médecin a traité des personnalités comme Oliver Kahn, ancien gardien de but allemand, et Sebastian Deisler, de la Mannschaft. En interview, il parle des dangers de la dépression, de la mauvaise réputation de cette maladie et du meilleur traitement pour la guérir.
13.02.2017
Le Prof. Florian Holsboer a dirigé l’Institut Max-Planck de psychiatrie pendant 25 ans. Ses découvertes dans le domaine des thérapies de la dépression sont considérées comme révolutionnaires.
Parce que, contrairement au diabète ou aux rhumatismes, on ne peut la déceler dans le corps. Il n’y a pas de résultats d’analyses médicales. Voilà pourquoi la dépression est bien plus difficile à cerner et, par conséquent, à accepter.
Non. La dépression est une maladie organique, comme les autres maladies, d’ailleurs. Seulement, les mécanismes qui la provoquent sont si microscopiques qu’on peine à les percevoir. Ils surviennent dans les ramifications du système nerveux du cerveau.
Oui, la dépression est une maladie du cerveau. C’est-à-dire que c’est là qu’elle évolue. Et le cerveau n’est pas qu’un organe parmi d’autres. C’est le plus important, le plus complexe et le plus énergivore de tout notre corps.
Elle découle de processus biochimiques qui sont déclenchés par des facteurs environnementaux comme le stress. À quoi s’ajoute une prédisposition héréditaire ou acquise au cours de l’existence, par exemple en raison d’un traumatisme vécu dans l’enfance.
Oui. C’est ce qu’on appelle l’épigénétique, c’est-à-dire que des facteurs extérieurs influencent l’activité de nos gènes. Je dis toujours que l’ADN n’est pas une oasis de tranquillité.
Bien entendu. La dépression peut survenir d’un seul coup. On a beau chercher, on ne trouve aucune justification. Ou alors on la construit. Plusieurs personnes disent souffrir d’un burnout, une affection mieux acceptée socialement, mais en réalité, elles souffrent de dépression.
Lorsque vous êtes profondément triste et que les choses qui, auparavant, vous faisaient plaisir vous laissent à présent indifférent. Lorsque vous prenez vos distances, notamment de votre famille et de vos amis. Lorsque tout vous semble pénible et que vous vous dites constamment que votre vie va vraiment mal.
Durant la consultation, il rassemble les impressions émises par le patient en points de diagnostic concrets. Il doit tout d’abord exclure d’autres maladies: le manque d’entrain, la fatigue ou les troubles d’humeur peuvent avoir d’autres causes, comme une maladie de la thyroïde ou un début de parkinson ou d’alzheimer.
Exact. Les psychiatres doivent être de bons médecins. Ils doivent assurer une bonne collaboration thérapeutique avec leurs patients, sans pour autant oublier la médecine classique.
Non, ce n’est pas possible. En fait, le meilleur moyen d’atteindre la chronicité, c’est-à-dire de prolonger la dépression de manière durable, est de suivre un traitement insuffisant, voire d’y renoncer complètement. Et qui dit chronicité, dit invalidité précoce, en plus d’être une porte ouverte sur d’autres maladies.
Je pense aux maladies cardiovasculaires, au diabète ou à des maladies neurodégénératives comme le parkinson et l’alzheimer.
Il est impossible de comprendre qu’une personne dans la force de l’âge et autrement en bonne santé décide de mettre fin à ses jours. Lorsque je travaillais encore à la clinique, les patients me disaient: «Vous savez, j’ai dû subir une grave opération ou un cancer, et ce fut une expérience absolument terrible. Mais ce que cette dépression me fait vivre sur le plan émotionnel, cette sensation d’usure, d’apathie, d’insensibilité, tout ça est bien pire encore.» Ces déclarations sont toujours frappantes.
En effet. Et c’est ce désespoir qui pousse les personnes à s’enlever la vie. Le suicide est une conséquence extrêmement grave de la dépression. En fait, les patients souffrant d’autres maladies physiques graves ont rarement tendance à mettre un terme à leurs jours, même si ce serait plus compréhensible. En ce sens, la dépression est une maladie grave, l’une des plus graves dont on peut souffrir. Elle peut même entraîner la mort. Chaque année à l’échelle mondiale, on recense plus d’un million de suicides dont la quasi-totalité est attribuable à la dépression.
À l’aide de médicaments et d’une thérapie par la parole. Les caractéristiques de la dépression sont les mêmes pour tous, mais les causes varient d’une personne à l’autre. D’où l’importance d’adapter le traitement et la médication. En effet, les médicaments n’ont pas le même effet chez chaque personne.
Nous avons découvert que l’ADN pouvait nous aider à prévoir si une personne réagira favorablement ou non à un médicament en particulier. À ce jour, les psychiatres se basent sur leur expérience personnelle pour prescrire un médicament à un patient qui présente des symptômes particuliers. À l’avenir, ils pourront faire appel au diagnostic de laboratoire sur l’ADN afin de trouver le médicament approprié et la bonne posologie. Cela représente une avancée substantielle dans le traitement psychiatrique.
Pas en cas de dépression grave. Aujourd’hui, après avoir subi une dépression sévère, près d’une personne sur cinq demeure partiellement affectée et environ une personne sur dix, en dépression chronique. Ce sont des chiffres terrifiants. Ils montrent également que les médicaments actuels parviennent à traiter efficacement un nombre trop faible de patients, qu’ils prennent trop de temps avant de faire effet et qu’ils comportent trop d’effets secondaires. Ces trois «trop» sont à prendre au sérieux.
La dépression est une maladie très fréquente. On estime que 10 à 14% de la population souffre d’une dépression grave au cours de sa vie.
C’est difficile à dire. Certes, on diagnostique davantage de cas de dépression, mais cela ne veut pas nécessairement dire que la maladie est plus courante qu’avant. En fait, on en parle plus de nos jours et on l’accepte plus facilement. Le fait que des personnalités comme Catherine Zeta-Jones et Lindsay Vonn aient parlé de leur dépression y est pour quelque chose.
Non, la dépression n’est pas un nouveau phénomène. Autrefois, elle portait tout simplement d’autres noms, comme la «mélancolie» ou «la bile noire». La maladie existe depuis des milliers d’années, depuis l’Antiquité en fait.
Les femmes souffrent davantage de dépressions légères. Ce constat tient sans doute au fait qu’elles sont plus enclines que les hommes à parler de cette maladie dans les sondages. Quant à la dépression grave, elle touche autant les hommes que les femmes.
La dépression touche surtout les jeunes adultes et constitue la cause essentielle d’invalidité précoce et d’incapacité de gain. Elle prive le monde du travail de sa main-d’œuvre qualifiée. Lorsque des trentenaires, une fois leurs longues études terminées, doivent rester à la maison en raison d’une dépression au lieu d’intégrer le marché du travail, cela entraîne d’énormes conséquences socio-économiques. Nous devons tous assumer cette situation.
C’est compliqué. Si vous vous faites une entorse au genou, vous êtes en mesure de réfléchir à la situation de façon lucide avant de prendre la décision: «Je vais me rendre chez l’orthopédiste.» Or, lorsque votre cerveau est malade, il vous est difficile de réfléchir à la meilleure manière de vous soigner. C’est là où le bât blesse. Quiconque ressent des symptômes s’apparentant à ceux de la dépression devrait consulter son médecin de famille afin de clarifier la situation.
On ne devrait en aucun cas proposer à la personne de partir en voyage. Ça ne servirait à rien, puisque la dépression la suivra dans ses bagages. Il faut surtout éviter les reproches du genre: «Ressaisis-toi, tu vas pourtant bien, tu as tout ce que tu veux, pourquoi tu es insatisfait?» Je déconseille aussi d’essayer de jouer au co-thérapeute.
On devrait simplement lui dire: «J’ai l’impression que tu n’es plus la même personne. Est-ce que quelque chose ne va pas?» Et si les symptômes de dépression s’aggravent, on peut lui dire: «Écoute, j’ai lu que la dépression était très répandue», et ensuite, vous pouvez lui montrer cette interview et lui expliquer: «Vois par toi-même, c’est une maladie comme une autre. Comme pour toute maladie, il vaut mieux consulter un médecin pour obtenir des conseils. Et si ces conseils te semblent pertinents, tu les suis afin de combattre cette maladie. Le médecin t’aidera à trouver le type de thérapie approprié. En prenant la médication indiquée et en suivant une thérapie par la parole, tu te sentiras mieux dans quelques mois, ou peut-être même avant.»
Oui. Si vous abordez la personne touchée de cette manière, vous lui ferez du bien.
Un trouble psychique bouleverse l’équilibre personnel. Dépression, angoisses, dépendance, un comportement ostensible sont des symptômes typiques.
Ennui, apathie, angoisses, insomnies chroniques ou pensées suicidaires sont signes de dépression. Une psychothérapie s’avère alors indispensable.
Nombre de thérapies permettent de lutter contre les problèmes psychiques. Un entretien avec un spécialiste permet de se décider plus facilement.
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